LE LIEN MANQUANT : De Schütz à Bach – Les concerts funèbres de Michael Wiedemann

19 novembre Allemagne / Gera

Une partie importante de la musique occasionnelle du XVIIe siècle a survécu sous la forme de ce qu'on appelle les Kasualdrucke. Il s'agissait de publications plus ou moins représentatives qui documentaient le déroulement d'événements solennels –casualia – et fournissaient souvent des informations précieuses sur la réalité vécue à l'époque moderne et son contexte socioculturel. Parmi celles-ci, les sermons funéraires occupent la plus grande place. Outre le sermon lui-même et la biographie du défunt, ils contiennent des éléments tels que des discours d'adieu, des poèmes et souvent aussi des morceaux de musique, par exemple des hymnes, des motets ou des concertos sacrés. L'exemple le plus significatif est la composition en trois parties de Heinrich Schütz, Musikalische Exequien, écrite en 1636 pour les funérailles de Heinrich Posthumus Reuß et considérée encore aujourd'hui comme la musique funèbre la plus intime et la plus impressionnante de l'époque moderne. Près de soixante ans plus tard, Michael Wiedemann (1659-1719) composa son Begräbniß=Concerte en 1693 pour les funérailles du baron Sigismund Heinrich von Bibran und Modlau. En trois parties, Wiedemann déploie un spectre musical qui va des arrangements conventionnels à la polyphonie savamment conçue, en passant par la concentration symbolique. La première partie, écrite pour cinq voix et cinq cordes, rappelle les compositions de ses contemporains, mais ce qui est remarquable, c'est l'utilisation intensive des chorals. Dans la deuxième partie, la conception s'étend à un dreichöriges Concert (concerto à trois chœurs), que Wiedemann décrit en détail en ce qui concerne sa disposition spatiale : le Lehr-Chor (chœur d'enseignement) chante des textes bibliques accompagnés de deux flûtes à bec. Le Glaubens-Chor (chœur de la foi) répond en duo accompagné de trois violes et la Seelen-Stimme (voix de l'âme) - cachée derrière le cercueil - entonne le choral Herzlich tut mich verlangen (Ô tête sacrée, maintenant blessée), accompagné d'un luth. Ici, l'espace, le symbolisme et le timbre s'unissent : les flûtes à bec au caractère pastoral et voilé, les violes comme expression de la lamentation et le luth caché comme voix intime de l'âme. La troisième partie mène stylistiquement au haut baroque. Dans le Beschluss-Liedgen (Chant de clôture), une soprano cachée dans la crypte chante Consummatum est (« C'est assez »), accompagnée d'un luth, chaque ligne étant répétée par l'ensemble « terrestre ». Le défunt lui-même apparaît ici comme une fictio personæ : Sigismund von Bibran und Modlau s'exprime en tant que « voix de l'âme ». Il convient de noter en particulier la structure en trois parties, qui renvoie directement à l'Exequien de Schütz. Les deux œuvres suivent la même dramaturgie liturgique : une section avant, deux après le sermon. Elles font ainsi partie des très rares compositions funéraires à grande échelle du XVIIe siècle. Dans l'Actus tragicus (1707) de Jean-Sébastien Bach, on retrouve une fois de plus des parallèles musicaux avec Wiedemann : le choral comme fil conducteur, la partition avec des violes et des flûtes à bec, et la « dissolution » d'une Seelen-Stimme solitaire dans l'éternité. Tout cela porte à son accomplissement l'art doré de mourir du XVIIe siècle.
Schütz, Wiedemann et Bach apparaissent ainsi dans une ligne de développement
: Schütz comme source créatrice, Wiedemann comme pont vers le haut baroque, Bach comme accomplisseur.

Pour la première fois depuis 1693, l'œuvre de Wiedemann sera à nouveau entendue – une union entre le passé et le présent qui ouvre de nouveaux horizons. Huit chanteurs et sept instrumentistes de l'Ensemble Polyharmonique donneront vie à ce chaînon manquant à St. Michaelis à Hambourg (19 novembre 2025). 


Alexander Schneider / Cosimo Stawiarski


programme :

Melchior Franck - Unseres Hertzen Freude hat ein Ende (a cappella ATTB a lontano)

Michael Wiedemann - Begräbniß=Concerte (avec interludes de Johann Kessel)

Heinrich Schütz - Musikalische Exequien - SWV 279-281

Bach - Actus Tragicus - BWV 106


Ensemble Polyharmonique

Magdalene Harer - soprano

Joowon Chung - soprano

Alexander Schneider - alto & direction artistique

Jaro Kirchgessner - alto

Johannes Gaubitz - ténor

Sören Richter - ténor

Tobias Ay - basse

Matthias Lutze - basse


Anna Fusek - violon/flûtes à bec

Kerstin Fahr - violon/flûtes à bec

Alma Stoye - viole de gambe

Christian Heim - viole de gambe

Frauke Hess - violone

Bernhard Reichel - tiorba

Flóra Fábri - orgue

Cosimo Stawiarski - editio prima

LE LIEN MANQUANT : De Schütz à Bach – Les concerts funèbres de Michael Wiedemann

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